31 août 2006

Ornette à la Cité de la Musique

Il y a des instants qui vous changent. Des moments, rares, où l’existence prend sens en vous et autour de vous. Des moments où quelque chose transcende, dépasse en les englobant tous, les moments de beauté de votre vie, la littérature, les femmes, la peinture, les grands vins. Ca s’appelle la musique. Pas celle que l’on enseigne au conservatoire, non, celle qui dit l’universel, l’intemporel. Cette musique, on l’approche, on la côtoie parfois. Je l’ai rencontrée deux fois. Ce soir, avec Ornette, et il y a une dizaine d’années, avec Ornette.

Ornette. Ornette mon frère, Ornette mon ami, Ornette mon père, Ornette mon Dieu.

Mon dieu…

La salle est comble, ferveur partagée. Il fait son entrée, clown triste en habits de lumière, un chapeau déformé le coiffe. C’est peut-être la dernière fois que nous côtoyons ce génie, peut-être la dernière fois que nous côtoyons un génie. Les premières notes retentissent dans un silence total. Indicible beauté, inaccessible à la raison. Quelques secondes et les larmes me montent aux yeux. Ornette ne fait pas de la musique, il l’incarne, s’en fait le corps, le corps offrant, le récepteur et le diffuseur. Ornette ne joue pas des morceaux, il me raconte ma vie, ma vie tout de guingois, ma vie mal fichue, ma vie pas linéaire, ma vie triste entrecoupée de rires, il me dit l’amour, il me dit la vie, il me dit la mort. Ornette est vieux, il l’était déjà il y a dix ans. Il peine à tenir debout trop longtemps, mais son pouvoir est intact. Infinie délicatesse, infinie tendresse de cet homme qui inventa le free jazz il y a presque cinquante ans. Son fils est là, à la batterie, il accompagne son père, il l’accompagnera jusqu’à la mort, comme nous l’accompagnerons. Un rappel, une ballade esquissée, les larmes qui coulent. L’artiste s’en va, modeste, humble et doux. Il nous a fait vivre notre vie, passé, présent et futur, et notre mort. Il en a dit la beauté, les violences, les incohérences, la fragilité. Il nous laisse avec le silence, seuls, seuls avec sa musique en nous. Pour toujours.

BI
ps: sur le site de l'express, interview de l'artiste par mon amie Paola Genone : cliquez ici


23 août 2006

Lunar park

Bret Easton Ellis ne s'est jamais remis d'avoir écrit American Psycho. Si Less than zero pouvait présenter quelques analogies avec l'oeuvre de Douglas Coupland, le roman new-yorkais, écrit selon Ellis dans une forme de transe, plongeait tout au fond de la noirceur humaine. Jamais un roman ne m'était ainsi littéralement tombé des mains, jamais une telle horreur révélée avec froideur et précision. Lunar park est le roman d'un auteur faisant le bilan sur sa vie et son oeuvre. Le livre débute sur un mode autobiographique pour glisser peu à peu dans un cauchemar qui mêle, ce qui est propre au domaine du rêve, des éléments de la réalité et de la fiction. Le serial killer d'American psycho refait ainsi surface chez Ellis, enfin installé comme bon père de famille.
Le livre est fascinant en ce qu'Ellis, tout en brouillant les pistes factuelles, s'y livre sans complaisance. Nulle volonté de contrôler son image, de revendiquer un statut (écrivain destroy, ou au contraire ex-fêtard repenti). Le livre d'un virtuose qui, revêtant un nouveau masque, nous dit qui il est.

BI

PS: sur le site suivant, deux biographies parallèles, la bio officielle et celle , légèrement divergente, issue de Lunar Park
biographies

05 août 2006

L'enfant d'octobre

L'enfant d'octobre relate l'affaire Villemin, le meurtre du petit Gregory découvert noyé dans la Vologne et l'enquête qui s'ensuivit et enflamma la France entière. Deux points de vue alternent, celui de l'écrivain-narrateur qui décrit les faits dans un style épuré proche de la simplicité chrétienne d'un Christian Bobin, et celui de Christine Villemin, propos inventés par l'auteur, censés évoquer un côté plus partial, plus affectif. Dans le premier cas, on ne peut s'empêcher de penser que cette volonté de pureté de l'écriture n'est là que pour blanchir une opération (se plonger dans la boue d'une affaire pareille et en faire une oeuvre, se nourrir de l'attrait du public pour le sordide, gagner sa vie sur ce charnier) plutôt répugnante. Dans le cas des pseudo-pensées prêtées à Christine Villemin, comme souvent, le procédé se retourne et ce qui devait sonner comme un point de vue fragmentaire devient au contraire l'expression de la vérité telle que fantasmée par Philippe Besson. Comment se permettre d'exprimer un quelconque point de vue sur la culpabilité des uns et des autres, vingt deux ans après les faits, comment en faire une oeuvre littéraire aux prétentions de pureté, comment faire de l'argent avec tout ça ? Vous l'avez cauchemardé, Besson l'a fait.
BI

quelques liens à propos de ce livre :
www.zone-litteraire.com
fleurdencre.over-blog.com

La réaction de Martin Winckler au téléfilm tiré de l'affaire