30 mars 2008

Socrate dans la nuit

Aborder le dernier livre de Patrick Declerck est une entreprise délicate. Si personnage est déroutant, entre physique de garçon boucher et philosophe bon vivant, son roman ne l'est pas moins, sorte d'autofiction mise en parallèle avec les derniers instants de Socrate.

Declerck, ou plutôt son personnage, Cornelius Van Zandt, apprend qu'une tumeur logée dans son cerveau ne lui laisse que peu de temps à vivre, et que, de plus, il est impossible de savoir combien de temps. Désabusé, lassé de tout, et sans doute surtout de lui-même, de son personnage, des faux-semblants, le narrateur s'épanche sur les femmes, la gastronomie, le corps médical, le sexe... et Socrate dont il aimerait suivre la ligne de conduite, lui qui a su garder contenance..

Au final, on sort un peu déçu de ce face à face, alors même que le côté iconoclaste, excessif et incorrect du personnage nous avait laissé entrevoir plus de générosité, moins de replis sur soi

Le Litterroriste

23 mars 2008

L'écriture de scénarios

Ouvrage de référence pour qui veut se plonger dans les délices de la structure narrative. On passera sur un humour répétitif qui finit par brouiller le propos. L'intérêt du livre de Jean-Marie Roth est de désacraliser la narration, de l'assumer comme travail, et de fournir des exemples très concrets des différentes formes scénaristiques que sont le synopsis, la continuité dialoguée, le découpage technique.
L'autre intérêt du livre : le rapport du cinéma français à l'argent, aux subventions, l'incessant débat sur le soi-disant modèle français, la soi-disant exception française dont la brièveté de l'apparition de certains films sur nos écrans n'arrive pas à masquer l'indigence et le conformisme.

LE LITTERRORISTE

21 mars 2008

Team 10

La Cité de l'architecture et du patrimoine propose une exposition sur le groupe d'architectes Team X. On craint une exposition austère, abstraite et hermétique... et on a raison. La démarche de Team X, dans les années 60, se veut évolution critique des doctrines des CIAM dont le Corbusier fut l'un des fondateurs. Team X prétendait complexifier le discours architectural et urbanistique, tirer des enseignements du vécu des gens comme de l'architecture auto-construite. De longues analyses, fourre-tout, sont censées permettre de comprendre les qualités offertes par l'urbanisation de certains bidonvilles. Mais, là où l'on pouvait s'attendre à trouver, in fine, une architecture complexe, un urbanisme riche, on se trouve confronté à un résultat d'une pauvreté étonnante, des plans masse où quelques barres jouent avec l'angle droit. Car le problème de Team X, c'est sans doute une certaine fascination formelle. En témoignent de nombreux plans masse très graphiques, qui sont de véritables tableaux abstraits, la couleur en moins. Mais jamais le lien n'est réalisé entre cette abstraction et l'architecture, jamais l'entre-deux ne se développe vraiment. Très peu de réalisations au final, au vu du nombre d'architectes impliqués. Des grands gestes, des échecs (Toulouse-le Mirail) dont on pourra toujours prétendre qu'ils l'ont été parce qu'on n'a pas bâti TOUT le système. Architecture totalitaire, en ce qu'elle n'accepte au final pas le réel, ne souffre aucune distorsion dans sa perfection conceptuelle et formelle. On aimerait voir de l'architecture, il y en a fort peu : quelques maquettes, de grandes photos des architectes, censées redonner un peu de vie à une expo lugubre. Une scénographie sans imagination, voire absurde, des vidéos inaudibles car côte à côte...
Une exposition qui n'intéressera malheureusement que les architectes, tant elle est abstraite, sans relief, sous-commentée.
La cité de l'architecture et du patrimoine remplit-elle ainsi son rôle de divulgation de l'architecture auprès du grand public ou satisfait elle l'ego d'une caste d'architectes mondains trop heureux que l'on patrimonialise (cf Alain Bourdin, le patrimoine réinventé) le moindre bâtiment d'une époque qui s'est voulue héroïque ?

LE LITTERRORISTE

12 mars 2008

Hey, Nostradamus !

Un lycée. Des adolescents qui s'habillent en treillis et font un carnage. Cheryl meurt dans la fusillade. Jason, celui qu'elle a épousé en secret, survit après avoir tué l'un des agresseurs.
C'est le point de départ du roman le plus abouti de Douglas Coupland, roman à plusieurs voix: Cheryl s'exprime peu après son décès, Jason, lui aussi, dont la vie sera de ce jour marquée d'un voile, Heather, la petite amie qu'il aura plus tard, et Reg, le père de Jason dont la vertu rigoriste se trouve éprouvée par les faits. Chacune de ces parties est non seulement le point de vue intime de l'un des protagonistes, mais un point de vue décalé dans le temps : il ne s'agit pas seulement de donner à voir la complexité d'une situation, mais son évolution, et, par le changement de narrateur, nous laisser entrevoir à chaque fois des pans nouveaux de l'histoire. Hey, Nostradamus ! est un roman sur la foi, et sur le doute. Comment croire lorsque l'on est confronté à l'horreur ? Quel rôle pour la religion dans la société nord-américaine? Comment vivre après la mort d'un amour, la mort de l'amour ?

Un roman philosophique très actuel.

LE LITTERRORISTE

08 mars 2008

There will be blood

Les pionniers américains du pétrole au début du vingtième siècle...La cupidité, la violence, l'obsession. Les histoires familiales. La religion.
On pouvait tout craindre de ce cocktail.
Un Dallas historiciste ?
Les premiers instants du film rassurent tout de suite. Paul Thomas Anderson filme avec sobriété, minimalisme.
Plusieurs minutes (une demi-heure ?) s'écoulent avant qu'un mot ne soit échangé.
La musique est radicale, expressionniste, dérangeante.
Le mal couve dès l'origine.
Et le film existe. Il existe par ses personnages, ses personnages qui, chose rare dans le scénario actuel, ont de l'épaisseur, de la complexité, un mystère.
Quelles sont les motivations profondes de Daniel Plainview, le clairvoyant, le pionnier ? Cache-t-il vraiment des sentiments derrière sa façade de dur-à-cuire, ou joue-t-il de cette idée ?
Qui est vraiment ce jeune pasteur, son charisme théâtral n'est-il qu'une mise en scène destinée à asseoir un pouvoir grandissant dans sa communauté ?
Le demi-frère de Daniel l'est-il vraiment ? Daniel peut-il avoir des sentiments fraternels ?
Le fils adoptif de Daniel, devenu sourd, est-il au courant de son statut ? La haine a-t-elle pris le pas chez lui sur l'amour qu'il ressentait pour Daniel ?

There will be blood est un film magistral. L'auteur de Magnolias, Boggie-nights et Punch-Drunk Love atteint une maturité dans son art rare chez un réalisateur aussi jeune.
Les acteurs sont formidables. Daniel Day Lewis incarne son personnage avec une justesse dans le regard qui fait frémir. Paul Duno (Little Miss Sunshine) dresse le portrait d'un jeune évangéliste précurseur des dérives du genre, entre foi, dollars et pouvoir, avec de grands numéros de prêche où l'acteur laisse libre cours à son instinct, performances on stage mémorables.

A voir.

LE LITTERRORISTE