31 décembre 2006

Glamorama

1998. Bret Easton Ellis a déjà vécu plusieurs vies littéraires. Intrônisé chef de file de la nouvelle littérature américaine après un premier roman explosif (Moins que zéro), il a confirmé ce statut, s'est perdu dans une vie mêlant célébrité, sexe, alcool et drogues. Il a, enfin, écrit American Psycho, dont l'insoutenable violence et le scandale qu'elle suscita, achevèrent de faire de lui une idôle pop.
Que faire après ça ?
Revenir à ses premiers amours, la description au scalpel d'une société de l'apparence.
Victor est mannequin et passe sa vie de fête en fête, de montage de boîte en défilé. Tout le monde finissant par se ressembler à force de chirurgie, de vêtements de marque, de coiffeurs tendance, de musculation intensive et d'UV, Victor est souvent aperçu à des fêtes où il n'a pas le souvenir d'être allé.
Le roman glisse alors dans une course poursuite aux limites de l'horreur où le rapport entre réalité et fiction - thême cher à Ellis - se brouille de plus en plus, la réalité (y compris le crime) étant fictionnarisée voire produite par l'industrie de l'image.

Glamorama est un livre difficile, mais remarquable.
(pour une critique moins positive, cf deux articles dans Lire ici et là.)

BI

PS : à noter que ce roman présente de grandes similarités avec le film Zoolander qui s'en serait peut-être inspiré, en le tournant vers un comique débridé. Des infos ici.
Le film a connu une adaptation cinéma plus classique (réalisé par Roger Avery).

10 décembre 2006

Naître

Histoire d'un désastre. Prenez une brochette d'acteurs épatants (dont Carlo Brandt), des décors sobres mais efficaces, des costumes réussis dans un esprit Fahrenheit 451. Prenez un auteur en vogue, Edward Bond, dont Naître est le troisième volet d'une tétralogie, donnez la mise en scène à Alain Françon, spécialiste d'un théâtre "politique".
Prenez une salle subventionnée (le Théâtre National de la Colline dont Françon est le directeur) qui n'a pas besoin de trouver son public et secouez le tout... pendant 2h30.
On aurait aimé aimer. Bond traîte de la question de la représentation de la violence et de la guerre. Comment montrer l'horreur ?
Mais la mise en scène est lente, très lente, et la pièce est longue, très longue. La situation n'évolue plus au niveau dramaturgique pendant la dernière heure, interminable dillution d'une situation fantasmatique.
Curieusement, cette pièce, dans la même distribution, avait fait scandale au festival d'Avignon lorsque un bébé était écrasé contre des boucliers. Cette radicalité là, au contraire, fait les meilleurs moments d'une pièce dont l'ennemi principal est l'ennui.

BI

06 décembre 2006

Le baiser du congre

Ces derniers temps, le roman noir stipule que le héros de polar est de plus en plus rarement détective privé ou flic, fut-il corrompu. Plus à proprement parler d'enquête, mais un bout de vie en commun avec un personnage comme vous et moi, confronté aux évolutions, violences, contradictions et beautés du monde et des sociétés.
Ce premier roman de Del Pappas s'inscrit dans cette tendance. On s'identifie d'autant plus facilement aux tribultaions marseillaises de Constantin, dit le Grec, que sa bio nourrit de nombreuses similitudes avec celle de son auteur. On pourra s'irriter ça et là d'un sentimentalisme qui touche à la mièvrerie ou d'un portrait de Marseille digne des stéréotypes les plus courrus (les gens durs au premier abord, mais tendres au fond, la nourriture toujours excellente, le pastis à volonté...), autant de points qui rappellent les films de Robert Guédiguian. Mais comme l'auteur de Marius et Jeannette, Del Pappas possède un lyrisme rare, une force qui nous emporte page après page.

Le Littérroriste

ps: Le Baiser du Congre est son premier roman, il inaugura une saga, celle de Constantin dit le Grec que développe ensuite Del Pappas de roman en roman, en aval et en amont de la période de ce roman.

26 novembre 2006

Le dahlia Noir

Le nouveau film de Brian de Palma a été plutôt descendu par la critique. L'adaptation du roman de James Ellroy a souvent été jugée confuse. Critique qui, pour n'importe quel véritable lecteur d'Ellroy, paraissait suspecte, tant Ellroy est justement l'écrivain de l'épaisseur, le créateur (ou re-créateur) d'une véritable complexité dramaturgique, historique et sociale. Là où la version cinéma de LA Confidential (étrangement portée aux nues malgré une simplification à l'extrème de l'intrigue) virait à l'exotisme, le Dahlia Noir oppose la vision sobre d'un film qui ne cherche pas à toucher une quelconque nostalgie des années d'après-guerre.
Le meurtre d'Elizabeth Short, s'il est central en termes de thématique et de structuration de l'oeuvre, n'y apparait en quelque sorte que comme en filigrane. Les personnages possèdent tous leur Part d'ombre, leur dualité, leurs contradictions.

BI

La mécanique des sectes


Jean-Marie Abgrall est psychologue, criminologue, spécialiste des mouvements sectaires dont il a traité nombre de victimes. Il est par ailleurs expert auprès des tribunaux pour les affaires traitant des dérives sectaires. Il a fréquemment été attaqué en justice, calomnié ou agressé physiquement pour son action. Il est à noter qu'Abgrall a par ailleurs fustigé les dérives irrationnelles des médecines douces. La mécanique des sectes trouve le ton juste entre informations, explications et théorisations. L'ouvrage s'appuie sur de nombreux extraits de textes émanant des sectes, tous plus révélateurs, voire véritablement hallucinants les uns que les autres. Un ouvrage passionnant pour ceux qui, comme nous, placent la liberté en valeur première.

BI

19 novembre 2006

La Pianiste

Comment retranscrire à l'écran le style abstrait et dense de Jelinek, son obsession quasi marxiste, sa vision d'une Autriche en voie de décomposition ? Comment évoquer les thèmes sado-masochistes de La Pianiste sans sombrer dans le sensationnel ?
Il fallait pour cela un cinéaste froid, sans effets, d'une précision clinique, Haneke excelle à ce jeu-là, son austérité ne vire pas à l'esthétisme.
Il fallait également des acteurs à même d'incarner sans volupté cette chair qui fait parfois penser à Schiele. Isabelle Huppert et Annie Girardot sont magistrales, Benoit Magimel un peu en retrait, manque un peu d'étoffe.
La pianiste est une réussite, une réussite qui laisse profondément mal à l'aise, comme les romans d'Elfriede Jelinek.

BI

Paradoxia, journal d'une prédatrice

Icône trash US (Sonic Youth, Nick Cave comptent parmi ses amis), Lydia Lunch ne fait pas dans la dentelle. Un inceste en héritage et la jeune Lydia plonge dans une vie où sex, drugs & rock'n roll ne font pas toujours bon ménage. D'amant en amant, de transgressions en escalades, Lydia finit par admettre que sa conduite n'est qu'une forme de haine d'elle-même.
Les premières pages de Paradoxia nous font hésiter, on se dit qu'une telle accumulation ne saurait définir une oeuvre, on s'accroche pour devenir un auteur, sans chichis, qui dit les choses sans trembler.

Préfacé par Hubert Selby Jr.

BI

11 novembre 2006

Transfuge


Découverte ce mois-ci de la revue Transfuge, revue dédiée aux littératures étrangères dont le n°13 résonne étrangement par rapport à nos dernières préoccupations. Au sommaire de ce numéro : Ian Mc Ewan et un dossier Sur Philip K.Dick avec notamment un texte de Dantec sur l'immense écrivain d'anticipation.
Par ailleurs, à l'occasion de la sortie du livre en poche, courte critique d'Avidité d'Elfriede Jelinek, un point de vue divergent du nôtre, mais qui prend acte lui-aussi de la puissance (pour ne pas dire lourdeur au sens positif) du style de l'autrichienne.
Un portrait d'Ed Mc Bain, le maître du polar américain dont l'épopée 87e district a révolutionné le roman noir.
Revue passionnante pour qui cherche à sortir des petites coucheries parisiennes: Graham Greene, Melville, Peter Handke, un panorama pertinent, pas trop obnubilé par la nouveauté.

A conseiller.

BI

ps: le numéro 8 était consacré à Bret Easton Ellis

03 novembre 2006

Salon de la photo

La photo est un art démocratique. L'art des classes moyennes, le hobby parfait qui englobe toutes les envies, tous les possibles. Tout le monde se veut photographe, pour des raisons diverses.
Le salon de la photo qui a ouvert aujourd'hui à Paris, salle Olympe de Gouge, est un reflet somme toute fidèle des tendances et contradictions de ce désir accentué encore depuis le passage à l'ère numérique. Le principe est de présenter au public une sélection de photographe amateurs, avec leurs univers respectifs.
Si la qualité des oeuvres est très inégale, certaines lignes de force se font néanmoins jour.
L'amateur passionné rêve encore en noir et blanc, il en sublime ainsi le quotidien.
Ainsi, très belle série sur un bouilleur de cru de Michel Julia.
Le noir et blanc permet aussi d'abstractiser la nature ou même et surtout le cadre urbain, l'urbanisme, qui interroge nombre des exposants.
Peu de photo "sociale" ou ethnologique, sortis du monde matériel magnifiquement mis en valeur par JD Lemoine dans sa série Objets convoités (accumulations marchandes au fish-eye), on cherche plutôt vers le rêve (beau Chausson Japonais de Catherine Garnier) ou la texture (cf le travail de Guy Bukovatz ou de Bertrand Fauconnier). Texture qui se trouve peut-être le seul point commun avec des artistes plus orientés vers le graphisme et l'imagerie virtuelle, pour lesquels l'acte photographique n'est que l'un des moments (et des ingrédients) d'une oeuvre mixant photo et dessin, avec un usage de la typographie mettant en valeur des textes poétiques, oniriques. Ainsi, l'oeuvre naissante d'Olivia Lenard laisse déjà poindre le talent. C'est également l'une des seules avec Lucille Botti, à aborder l'érotisme, curieux absent de ce salon.

BI

14 octobre 2006

Cul-de-sac

Un américain quitte une vie banale, sur un coup de tête, pour l'Australie. La découverte d'une carte chez un libraire de Boston le pousse à changer de vie. Il vend ses biens, refuse un emploi confortable et débarque à l'autre bout du monde. Fantasme du voyageur : les grands espaces, le désert, les paysages lunaires, le soleil. Faire la route. Mais n'est pas Kerouac qui veut, et l'outback n'est pas la route 66. On n'y rencontre guère que des kangourous ou des filles un peu allumées, des hippies un peu attardées, la culture en moins. Nick ne se méfie pas quand Angie passe à l'arrière de son van Volkswagen couleur camouflage. Quelques jours d'oubli au fin fond du monde, à faire l'amour et à s'arroser de bière. Et puis, un grain de sable et l'on se retrouve marié, séquestré dans un bled rayé de la carte, dans une communauté vivant en vase-clos sous tickets de rationnement. Comment partir, comment quitter ce Cul-de-sac ?
La construction du livre est limpide, l'identification immédiate, le cadre original. Pas d'effet d'exotisme, pas de personnage stéréotypé, même dans ses excès.
Un très beau roman noir, plus qu'un polar, par Douglas Kennedy
dont ce fut le premier roman.

critiques de lecteurs du livre

BI

08 octobre 2006

Le mur des lamentations

Il y a deux manières d'aborder la question du politiquement correct et de la censure insidieuse qui l'accompagne: la réaction frontale, l'agressivité véhémente, la rupture, ou la manière douce qui vise à prendre le lecteur ou l'auditeur par la main, l'amener à reformuler lui-même ses a priori. David Abiker (France 5, France Inter) a choisi la seconde voie. Le mur des lamentations poursuit l'entreprise initiée par le Musée de l'homme. Nulle dénonciation tapageuse, mais un récit centré sur l'auto-dérision mettant en scène les innombrables victimes de la société française d'aujourd'hui. Stratégie du cheval de Troie, donc, être dans le système tout en en sapant les bases. Le mur des lamentations est divertissant, léger, presque frivole, vise à toucher un public large. On hésite entre l'envie d'une prose plus violente et l'idée qu'un tel texte atteindra plus sûrement ses objectifs.

BI


vous trouverez ici un article dans le mague à propos du livre

ici une critique dans brave patrie.com



29 septembre 2006

Esquisses de Frank Gehry

Il y a un malentendu entre la figure de l'architecte et le grand public. Le concepteur est fantasmé comme un créateur capricieux, une diva, qui, telle un styliste de mode, gribouillera deux croquis incompréhensibles sur une nappe de restaurant et dont le métier se ramènera grosso modo à cela.
Le film réalisé par Sydney Pollack (Tootsie, Out of Africa) sur son ami Frank Gehry ne contribuera pas à mieux faire comprendre ce qu'est le processus de conception et de construction de l'oeuvre architecturale. Certes, Gehry est sans doute l'architecte le plus proche de cette image d'Epinal, tant son architecture est autonome, maniérée et, en apparence, sans contraintes. Mais ce que le film occulte, c'est que l'architecture est une oeuvre sociale, dans le sens où elle est toujours le résultat d'un travail collectif, d'un travail long et complexe qui implique des compétences différentes. Travail qu'il est, bien sûr, difficile d'expliciter de manière ludique. Occasion manquée donc, et apologie d'un architecte qui n'en avait sans doute pas besoin. On regrettera notamment qu'aucun architecte de renom n'ait été convoqué pour se prononcer sur le cas Gehry ; il aurait été intéressant par exemple d'entendre Jean Nouvel s'exprimer, lui dont l'architecture et le mode de conception sont sur bien des points à l'opposé de la démarche de l'architecte californien : Nouvel comme la plupart des architectes français pense son bâtiment en termes de projections (plan, coupe, façade) quand Gehry imagine une enveloppe tridimensionnelle qu'il va ensuite falloir habiter. Nouvel croit encore à un rapport au contexte quand Gehry dessine des objets solitaires. Autre thème mis à l'écart dans Esquisses de Frank Gehry : les attaques portées contre Gehry par la gauche californienne, attaques synthétisées dans le très intéressant City of quartz. Los angeles, capitale du futur de Mike Davis (1997). Pour simplifier, Davis y abordait la question de la privatisation de l'espace public californien : quartiers de L.A. en dissidence, se constituant en muncipalités autonomes, bâtiments privés d'usage public (centres commerciaux, complexes muséographiques) remplacant peu à peu les espaces de droit public ouverts à tous. Gehry y était décrit comme le réprésentant de cette appropriation de l'espace de la cité par les puissances commerciales. Difficile, donc, de croire un instant que ce documentaire constitue une réflexion de l'architecte sur les rapports entre la création et le monde du commerce.

BI

article de telerama

27 septembre 2006

Avidité

L'écriture d'Elfriede Jelinek est opaque. On y progresse pas à pas, avec difficulté. On démêle la jungle de ses pensées, les allers et retours de son esprit. L'intrigue existe, mais là n'est pas le sujet. Jelinek vise avant tout à produire une ambiance et ses moyens sont pour le moins extrèmes.
L'intrigue, donc, le pitch comme dirait l'insupportable Thierry Ardisson : une petite ville autrichienne pendant l'ère Jorg Haider. Une vie d'envieux, de petites réussites, de grandes jalousies. Une atmosphère proche de ce que l'on peut imaginer de celle de la vie des Villemin, en somme. Un gendarme volage qui dissimule des talents de tueur. Des femmes assoiffées d'amour, de rédemption. Un lac, noir, qui n'abrite aucune vie. Une jeune employée qui dissimule à sa mère et son fiancé sa liaison avec le gendarme. Un soir, la mort au tournant.
Jelinek dissèque. Les corps, les coeurs, les cerveaux sont étendus sur l'inox de sa page. Du stylo, elle éventre les chairs, exhibe les tumeurs, les pensées coupables, les lâchetés, les petitesses.
Un livre pénible, sans espoir, piqué ça et là de pointes d'humour noir.

Personne n'en sort épargné, pas même le lecteur qui se dit que cette expérience est sans égale, mais qu'il attendra quelque temps avant de la renouveler.

BI

quelques articles, contradictoires, à propos de ce livre :
bibliomonde
lire
l'humanité

sur Jelinek en général :
arte

et le post que j'ai consacré à deux autres romans de Jelinek :
les amantes et lust



23 septembre 2006

A scanner darkly

Tiré d'un roman de Philip K. Dick (a qui l'on doit notamment Ubik ou le roman dont fut tiré Blade Runner), le film de Richard Linklater mêle une narration paranoïaque à une forme distanciée. Les dernières tendances du film d'animation visaient plutôt à produire une image de synthèse ultra-réaliste, dans laquelle des acteurs bourrés de capteurs jouent les personnages, et ce, afin d'obtenir des mouvements fluides et crédibles. A Scanner darkly revient à la source: on tourne! Une brochette d'acteurs (Keanu Reeves, Winona Ryder, Robert Downey JR, Woody Harrelson) très complémentaires, aux personnages caractérisés, voire caricaturés, de l'humour, de l'invention. Les images une fois tournées, un processus de traitement numérique va déformer l'image dans une optique très cartoon : les dégradés sont remplacés par des aplats, les contours accentués, les couleurs échantillonnées dans des palettes qui donnent une identité visuelle forte à l'oeuvre.
La distance introduite par le traitement transforme le film en fable, fait en quelque sorte de nous les spectateurs de notre propre histoire, de notre propre futur (ici, comme souvent avec Philp K. Dick, pas de délire space opera, l'intrigue est quasi-contemporaine).
Les situations se retournent, l'ennemi vient de l'intérieur.
Un cauchemar éveillé.

Une belle réussite.

BI


PS:: un article paru dans le journal Le Monde sur le film



16 septembre 2006

Littérroriste, le site, et moi

1) Je suis, vous êtes, nous sommes tous pétris de contradictions, nos personnalités sont faites de strates, ces strates se révèlent suivant le contexte de nos interactions sociales (cf l'oeuvre d'Irving Goffman).
2) Le blog Littérroriste commence à prendre forme. Référencement aidant, quelques personnes commencent à s'y échouer, dont, parfois, les auteurs des livres critiqués, ou, plus souvent, des connaissances.
3) Les réactions de ces amis, amies, partenaires professionnels ou autres sont éclairantes. Les visiteurs du blog sont en très grande majorité très étonnés de ce qui s'y donne à voir de son auteur. Ca ne colle tout simplement pas avec le personnage qu'ils côtoient au jour le jour.
4) Les liens qui joignent mes blogs et sites, formant une cartographie abstraite de mes activités, contradictions, intérêts, passions, sont autant de violations des images mentales que se font de moi les personnes que je fréquente d'une manière ou d'une autre. Des clients se retrouvent confrontés à mes problèmes existentiels, des amateurs de rock atterrissent sur une critique d'un livre de Jelinek, des fondus de littérature voient leur ordinateur retentir de mes guitares et de la voix de ma soeur, etc
5) Autant de choses que nous ne maîtrisons pas encore. Ce que je cherche à dire, c'est que le blog est un langage en train de s'inventer lui-même, en recherche de son vocabulaire, de son esthétique, du rapport entre facilité d'emploi et personnalisation (on appelle ça l'ergonomie, non?).
6) Ce qui est flagrant, c'est que la masse des bloggers et de leurs visiteurs en est encore à un point où il est possible d'aborder directement des gens possédant pourtant une certaine notoriété. Je suis ainsi arrivé à discuter avec Richard Butler (ex chanteur des Psychedelic Furs, pour les accros de pop anglaise des années 80).
Moment intéréssant, donc, moment d'expérimentation, où l'on ne sait pas trop encore pourquoi on se trouve sur la Toile, dans quel but, pour y dire quoi, pour y apprendre quoi ?
7) Ce blog est lui-aussi une recherche, il prend sa forme peu à peu, se définit par un effet de masse, les articles d'accumulant délimitent un espace mouvant, en expansion, de plus en plus structuré.
Je souhaite que mes lecteurs y participent. Je vous appelle donc à oser plus souvent laisser vos commentaires (positifs ou négatifs).

Pour les quelques fans qui ont commencé à émerger, un t-shirt vient de sortir:
"la littérature est une arme" , disponible sur demande en S,M,L,XL.
A bientôt

BI

07 septembre 2006

Sous les draps (et autres nouvelles)

Recueil regroupant des nouvelles de Ian Mc Ewan (Prix Femina Etranger 1993 pour l'Enfant volé) dont l'écriture s'est étalée sur plusieurs années, mais dans une thématique cohérente. Une grande partie des textes est issue de son premier recueil de nouvelles Premier amour, derniers rites. L'ensemble tourne autour des thêmes de la solitude, du sexe et de leurs liens troubles. Un vrai talent de conteur, des histoires prenantes qui composent un tableau noir, ironique mais amoureux de la condition humaine.

BI

31 août 2006

Ornette à la Cité de la Musique

Il y a des instants qui vous changent. Des moments, rares, où l’existence prend sens en vous et autour de vous. Des moments où quelque chose transcende, dépasse en les englobant tous, les moments de beauté de votre vie, la littérature, les femmes, la peinture, les grands vins. Ca s’appelle la musique. Pas celle que l’on enseigne au conservatoire, non, celle qui dit l’universel, l’intemporel. Cette musique, on l’approche, on la côtoie parfois. Je l’ai rencontrée deux fois. Ce soir, avec Ornette, et il y a une dizaine d’années, avec Ornette.

Ornette. Ornette mon frère, Ornette mon ami, Ornette mon père, Ornette mon Dieu.

Mon dieu…

La salle est comble, ferveur partagée. Il fait son entrée, clown triste en habits de lumière, un chapeau déformé le coiffe. C’est peut-être la dernière fois que nous côtoyons ce génie, peut-être la dernière fois que nous côtoyons un génie. Les premières notes retentissent dans un silence total. Indicible beauté, inaccessible à la raison. Quelques secondes et les larmes me montent aux yeux. Ornette ne fait pas de la musique, il l’incarne, s’en fait le corps, le corps offrant, le récepteur et le diffuseur. Ornette ne joue pas des morceaux, il me raconte ma vie, ma vie tout de guingois, ma vie mal fichue, ma vie pas linéaire, ma vie triste entrecoupée de rires, il me dit l’amour, il me dit la vie, il me dit la mort. Ornette est vieux, il l’était déjà il y a dix ans. Il peine à tenir debout trop longtemps, mais son pouvoir est intact. Infinie délicatesse, infinie tendresse de cet homme qui inventa le free jazz il y a presque cinquante ans. Son fils est là, à la batterie, il accompagne son père, il l’accompagnera jusqu’à la mort, comme nous l’accompagnerons. Un rappel, une ballade esquissée, les larmes qui coulent. L’artiste s’en va, modeste, humble et doux. Il nous a fait vivre notre vie, passé, présent et futur, et notre mort. Il en a dit la beauté, les violences, les incohérences, la fragilité. Il nous laisse avec le silence, seuls, seuls avec sa musique en nous. Pour toujours.

BI
ps: sur le site de l'express, interview de l'artiste par mon amie Paola Genone : cliquez ici


23 août 2006

Lunar park

Bret Easton Ellis ne s'est jamais remis d'avoir écrit American Psycho. Si Less than zero pouvait présenter quelques analogies avec l'oeuvre de Douglas Coupland, le roman new-yorkais, écrit selon Ellis dans une forme de transe, plongeait tout au fond de la noirceur humaine. Jamais un roman ne m'était ainsi littéralement tombé des mains, jamais une telle horreur révélée avec froideur et précision. Lunar park est le roman d'un auteur faisant le bilan sur sa vie et son oeuvre. Le livre débute sur un mode autobiographique pour glisser peu à peu dans un cauchemar qui mêle, ce qui est propre au domaine du rêve, des éléments de la réalité et de la fiction. Le serial killer d'American psycho refait ainsi surface chez Ellis, enfin installé comme bon père de famille.
Le livre est fascinant en ce qu'Ellis, tout en brouillant les pistes factuelles, s'y livre sans complaisance. Nulle volonté de contrôler son image, de revendiquer un statut (écrivain destroy, ou au contraire ex-fêtard repenti). Le livre d'un virtuose qui, revêtant un nouveau masque, nous dit qui il est.

BI

PS: sur le site suivant, deux biographies parallèles, la bio officielle et celle , légèrement divergente, issue de Lunar Park
biographies

05 août 2006

L'enfant d'octobre

L'enfant d'octobre relate l'affaire Villemin, le meurtre du petit Gregory découvert noyé dans la Vologne et l'enquête qui s'ensuivit et enflamma la France entière. Deux points de vue alternent, celui de l'écrivain-narrateur qui décrit les faits dans un style épuré proche de la simplicité chrétienne d'un Christian Bobin, et celui de Christine Villemin, propos inventés par l'auteur, censés évoquer un côté plus partial, plus affectif. Dans le premier cas, on ne peut s'empêcher de penser que cette volonté de pureté de l'écriture n'est là que pour blanchir une opération (se plonger dans la boue d'une affaire pareille et en faire une oeuvre, se nourrir de l'attrait du public pour le sordide, gagner sa vie sur ce charnier) plutôt répugnante. Dans le cas des pseudo-pensées prêtées à Christine Villemin, comme souvent, le procédé se retourne et ce qui devait sonner comme un point de vue fragmentaire devient au contraire l'expression de la vérité telle que fantasmée par Philippe Besson. Comment se permettre d'exprimer un quelconque point de vue sur la culpabilité des uns et des autres, vingt deux ans après les faits, comment en faire une oeuvre littéraire aux prétentions de pureté, comment faire de l'argent avec tout ça ? Vous l'avez cauchemardé, Besson l'a fait.
BI

quelques liens à propos de ce livre :
www.zone-litteraire.com
fleurdencre.over-blog.com

La réaction de Martin Winckler au téléfilm tiré de l'affaire

27 juillet 2006

Les oeuvres complètes de Sally Mara


De Queneau, on aime l'impertinence, la liberté, le rapport ludique et sensuel avec les mots, autant de qualités qui explosent dès 1947 lorsque Raymond Queneau publie On est toujours trop bon avec les femmes sous le pseudonyme de Sally Mara. L'intrigue est simple: un acte révolutionnaire irlandais commis par quelques patriotes hauts en couleurs, enfermés sous les bombardements de l'artillerie anglaise avec une vierge anglaise qui se révelera pleine de compréhension. En 1950, Queneau sortira le Journal intime de Sally Mara, inventant après coup la biographie de l'auteur factice de son roman. Sally vit son adolescence à Dublin, entre un frère poivrot, une mère folle cuisinant jour après jour des tartes aux algues et du hareng au gingembre, une soeur tentée par une carrière dans les Postes et le souvenir d'un père parti chercher des allumettes il y a des années de cela. Entre des découvertes anatomiques dans un musée, des cours de gaëlique donnés par un poète salace, l'influence néfaste d'un gentleman français et l'exploration de l'entrejambe d'un camarade de cours, Sally fait ses premiers pas en amour comme en français. L'ensemble est jouissif, d'une invention constante.
BI

15 juillet 2006

Le musée de l'homme

David Abiker est chroniqueur dans l'émission Arrêts sur images sur France 5. Il est incisif, son ironie n'hésite pas à prendre le spectateur à rebrousse-poils. En l'occurence, le musée de l'homme est une description lucide de la déchéance de l'homme moderne, ce métrosexuel mis à mal par une société maternante où les irruptions de la masculinité sont pourchassées par des hordes de clônes de Ségolène R.
Le livre est drôle, avec un vrai courage dans la narration puisqu'Abiker decrit les péripéties de sa vie quotidienne, ses petites lâchetés, ses ratés personnels.
Le fond du livre est à rapprocher de certains écrivains estampillés néo-réactionnaires comme le regretté Philippe Muray. L'idée est de contester la vision victimiste d'une société dans laquelle tous les citoyens n'étant pas blancs, masculins et hétérosexuels définiraient des classes de victimes, divisibles à l'infini.
En ce sens, le livre est un pamphlet efficace car amusant.
A conseiller à vos amis qui lisent encore le Nouvel Obs.
BI

Testament à l'anglaise

Prix Femina étranger 95, ce roman fleuve de Jonathan Coe (qui recevra le prix Médicis étranger 98 pour La maison du sommeil) explore les méandres, les replis et les secrets d'une famille de l'establishment anglais de la seconde guerre mondiale aux années 90, avec une prédilection pour les années Thatcher. Un écrivain est chargé par une vieille tante un peu folle d'enquêter sur une illustre famille dont les membres sont infiltrés à tous les niveaux du pouvoir médiatico-politique des années 80. Ce qui passera de prime abord pour un pur hasard se révelera en bout de compte prédéterminé, les fils reliant les nombreux personnages de ce roman étant inextricablement liés. La réussite de ce roman tient à la fois dans une verve et un humour sans faille, et dans une description passionnante des années 80 en Angleterre, sujet a priori peu attractif, mais qui se révèle une trame efficace pour les agissements de personnages sans scrupules, de vrais méchants comme on les aime et comme on n'en fait plus.
Un livre fleuve, des itinéraires qui se croisent, une puissance d'évocation où la fantaisie et la précision documentaire ne se contredisent en rien.
Une réussite.
BI

article du magazine lire

29 avril 2006

Renzo Piano

L'oeuvre de Renzo Piano se distingue par une hostilité farouche à toute tentative de théorisation de l'architecture comme du processus de conception architecturale. Pour Piano, le projet est un processus collectif qui rassemble architectes, ingénieurs ou même artisans. De nombreux détails sont ainsi réalisés en prototypes à l'échelle 1/1, pour être confrontés à l'échelle du corps humain. Le livre grand format, à l'iconographie abondante (très belles photos, mais aussi, et c'est plus rare, de nombreux plans et croquis) retrace l'évolution de l'agence des débuts à nos jours avec, étonnamment, peu d'emphase sur le projet du Centre Georges Pompidou. Un bel ouvrage à comparer à la série publiée par Phaïdon (dans la même collection chez Taschen, une monographie de Tadao Ando est disponible). BI

Cosmos Incorporated


Aux premières pages du dernier Maurice G. Dantec, dont l'embrouillé Villa Vortex nous avait laissé sur notre faim, il semble que l'auteur ait un peu mis de côté son crédo religieux. Le style est clair, épuré, efficace. L'intrigue nous prend, le rythme est là.
Malheureusement, cette sobriété se retrouve confrontée vers le milieu du roman aux délires christiques de Dantec. Une fois de plus, l'oeuvre se révèle un manifeste chrétien sans ambages, ce qui n'aurait rien de condamnable si la narration n'en souffrait.

BI

Ecriture - Mémoires d'un métier

Le 19 juin 1999, Stephen King est fauché par un conducteur alors qu'il se promène le long d'une route de campagne. L'auteur de Shining et Dead Zone se retrouve hospitalisé entre la vie et la mort, sauve de peu sa jambe et se retrouve en convalescence avec l'écriture pour exhutoire. En sortira ce livre dans lequel Stephen King se raconte d'abord, pour en venir à parler de ce qu'est pour lui l'écriture, y compris dans ses aspects les plus terre à terre. Le ton est direct, humoristique, d'une franchise rare, sans prétention. On y découvre un écrivain bourreau de travail mais aussi lecteur infatiguable qui se révèle adepte d'une rigueur quasi monacale tant au niveau de son mode de vie que de son style. Un beau petit livre.
BI

18 mars 2006

Lectures en cours

Depuis quelque temps déjà, lecture par petits bouts de l'admirable Récits de la Kolyma de Chalamov, courts et innombrables récits qui tissent la toile de l'existence quotidienne dans le Goulag, récit d'un homme qui, outre une trentaine d'année de sa vie, y a perdu son humanité.



















Enfin, lecture de la dernière production d'un des "néo-réactionnaires" (Dantec et Houellebecq étaient aussi cités à comparaître...), Philippe Muray, dont on avait déjà pu apprécier l'humour corrosif dans ses essais "Après l'histoire", description féroce d'une société du festivisme, d'une idéologie du patin à roulettes.

J'ai appris par hasard le décès fulgurant de Muray, dont je reviendrai sur l'oeuvre jubilatoire.




BI

04 mars 2006

Girlfriend dans le coma


L'écriture de Douglas Coupland est paradoxale. Derrière le coté pop, brillant, enlevé de sa prose, se cache une certaine complexité qui tient tant au cadre conceptuel de ses romans qu'aux sujets abordés. Le thème de Girlfriend dans le coma est d'abord celui d'un anachronisme : à 34 ans, Karen se réveille après 17 ans passés dans le coma et retrouve ses amis qui ont peu changé, ont passé leur vie à l'attendre. On retrouve dans cette partie un Coupland proche de celui de Generation X, bible du mouvement grunge, ou Microserfs, dissection de la silicon valley, le Canadien traitant avec humour des cultures générationnelles comme de la société de consommation, avec un sens du détail proche de celui d'une certaine écriture pop. Puis le livre bascule dans une fin du monde qui n'en finit pas. Nos personnages èrent sur une Terre dévastée, perdant leur temps dans les déchets de ce qui a été, jusqu'à la révélation finale apportée par Jared, l'ex star de football américain du lycée, mort d'un cancer quelques mois avant Karen. C'est dans ce passage que Coupland prend des risques, en tentant de décrire le vide d'une existence dont le temps s'est enfui. Au final, un roman plus complexe qu'il n'y parait, paradoxalement plus noir que les précédents (Toutes les familles sont psychotiques, par exemple). Un roman sur la fin de la jeunesse, la difficulté à assumer son statut d'adulte, c'est à dire d'acteur.

BI

20 février 2006

Elfriede Jelinek

Dans les mois à venir, je fais le projet de développer ici quelques réflexions sur l'oeuvre d'Elfriede Jelinek dont la radicalité comme l'adéquation fond-forme me semblent constituer le contrepoint révélateur d'une certaine médiocrité littéraire parisienne.

De Jelinek je n'ai pour l'heure lu que deux romans : Les amantes et Lust (1989). Assez pour apprécier l'extrême originalité d'un style incisif, quasi marxiste, dont on ne ressort pas indemne.

Les amantes, l'un de ses premiers romans, publié en 1975, compte le parcours parallèle de deux femmes autrichiennes ordinaires dans les années 70, sous fond d'alpages, d'usines et d'hommes convoités.




Lust, pour sa part, dissèque le rapport conjugal avec une précision qui fut qualifiée de pornographie ratée à sa sortie, critique qui peut paraître surprenante tant le livre cherche tout sauf à emmener le lecteur dans un onirisme érotique.

<<Lust est une forte critique sociale, un exemple démontrant les mécanismes de l’esclavagisme moderne.>>


BI

La compagnie

De l'après-guerre au complot contre Gorbatchev, Robert Littell dresse le portrait d'une CIA patriote luttant sur tous les fronts (extérieurs, intérieur) contre l'ennemi soviétique. Le déplacement de l'affrontement des deux superpuissances en d'autres pays, déplacement qui caractérise la guerre froide, permet à l'auteur d'esquisser un portrait idéaliste et manichéiste certe, mais d'une certaine efficacité romanesque.
Respectant à la lettre les lois du genre, l'intrigue met en scène quelques personnages dont les histoires personnelles se lisent comme les fractales de l'Histoire, dans un balancement permanent entre micro et macro échelle.
Au final, un roman dispensable, décevant en tant que recherche historique, mais un bon divertissement.

BI

19 février 2006

Le potentiel érotique de ma femme

Récit qui se veut jubilatoire de la passion d'Hector pour les collections, de ses tentatives desespérées pour en sortir, de la révélation érotique que constitua pour le héros la vision des jambes de sa femme alors qu'elle lavait les vitres, le livre se révèle amusant, d'un humour un peu potache, parfois irritant dans ses facilités.
On pense de temps à autre au Perec de Quel petit vélo sans que le potentiel comique de l'auteur ne se révèle complètement.

BI

Hier te fera pleurer

En 1937, Chester Himes achève Yesterday will make you cry peu après avoir quitté le pénitencier d'Etat de l'Ohio où il vient de passer 7 ans pour vol à main armée. Ce récit sera finalement publié en 1952 sous le titre Cast the first stone sous une forme considérablement altérée. Cette nouvelle traduction révèle enfin le texte tel que Chester Himes l'avait conçu, c'est à dire comme l'autobiographie romancée de ces années de détention pendant lesquelles il aura à plusieurs reprises frôlé la mort et la folie. Sans aucun misérabilisme ni victimisme - les détenus n'y sont pas décrits comme des agneaux innocents - Himes évoque l'inexorable combat que mènent le souvenir et l'oubli dans un univers où seul le présent permet de tenir entre un futur trop lointain et la douleur des bonheurs enfuis.
Le tabou d'une homosexualité quotidienne est abordé sans voyeurisme ni mièvrerie au détour de deux rencontres marquantes, entre réminiscences d'une féminité inaccessible et quête de l'absolu au travers d'une amitié équivoque. Sans doute pour éviter de trop parasiter le récit par l'évocation d'une question noire qui ne constitue pas son sujet, le narrateur de Himes est blanc, comme le sont les principaux protagonistes de ce roman au lyrisme sans concession.

La première oeuvre de celui qui allait devenir l'un des maîtres du polar américain.

Le Littérroriste