29 septembre 2006

Esquisses de Frank Gehry

Il y a un malentendu entre la figure de l'architecte et le grand public. Le concepteur est fantasmé comme un créateur capricieux, une diva, qui, telle un styliste de mode, gribouillera deux croquis incompréhensibles sur une nappe de restaurant et dont le métier se ramènera grosso modo à cela.
Le film réalisé par Sydney Pollack (Tootsie, Out of Africa) sur son ami Frank Gehry ne contribuera pas à mieux faire comprendre ce qu'est le processus de conception et de construction de l'oeuvre architecturale. Certes, Gehry est sans doute l'architecte le plus proche de cette image d'Epinal, tant son architecture est autonome, maniérée et, en apparence, sans contraintes. Mais ce que le film occulte, c'est que l'architecture est une oeuvre sociale, dans le sens où elle est toujours le résultat d'un travail collectif, d'un travail long et complexe qui implique des compétences différentes. Travail qu'il est, bien sûr, difficile d'expliciter de manière ludique. Occasion manquée donc, et apologie d'un architecte qui n'en avait sans doute pas besoin. On regrettera notamment qu'aucun architecte de renom n'ait été convoqué pour se prononcer sur le cas Gehry ; il aurait été intéressant par exemple d'entendre Jean Nouvel s'exprimer, lui dont l'architecture et le mode de conception sont sur bien des points à l'opposé de la démarche de l'architecte californien : Nouvel comme la plupart des architectes français pense son bâtiment en termes de projections (plan, coupe, façade) quand Gehry imagine une enveloppe tridimensionnelle qu'il va ensuite falloir habiter. Nouvel croit encore à un rapport au contexte quand Gehry dessine des objets solitaires. Autre thème mis à l'écart dans Esquisses de Frank Gehry : les attaques portées contre Gehry par la gauche californienne, attaques synthétisées dans le très intéressant City of quartz. Los angeles, capitale du futur de Mike Davis (1997). Pour simplifier, Davis y abordait la question de la privatisation de l'espace public californien : quartiers de L.A. en dissidence, se constituant en muncipalités autonomes, bâtiments privés d'usage public (centres commerciaux, complexes muséographiques) remplacant peu à peu les espaces de droit public ouverts à tous. Gehry y était décrit comme le réprésentant de cette appropriation de l'espace de la cité par les puissances commerciales. Difficile, donc, de croire un instant que ce documentaire constitue une réflexion de l'architecte sur les rapports entre la création et le monde du commerce.

BI

article de telerama